Clémence Marie RABEC, la sœur de mon arrière-grand-père

Ils s’appelaient Pierre, Clémence, Marie-Louise, Léa, Juliette, Emile et Tranquille. Une famille de 7 enfants. Trois garçons et quatre filles nés dans le dernier quart du XIXème siècle en Normandie. 

Pierre est mon arrière-grand-père. Je ne sais pas grand chose de lui. Et encore moins de sa fratrie. La famille n'a aucune mémoire d'eux.

J'ai voulu ces derniers mois retrouver leurs traces pour mieux comprendre l'histoire de mon aïeul et de la vie de famille qui fut la sienne. Et je commence aujourd'hui par l'une de ses sœurs : Clémence Marie Rabec.

La vie de Clémence Rabec n'a rien d'exceptionnelle en apparence. Clémence fut une femme ordinaire et invisible comme tant d'autres de son époque dont la vie sombra dans un oubli total. Et pourtant raconter la vie de Clémence, c'est raconter l'extraordinaire d'une vie de 81 ans qui survécut à deux conflits mondiaux et fut le témoin d'une société aujourd'hui disparue.

Voici son histoire.

Eglise Saint-Pierre
Pont-Hébert

Clémence Marie Rabec naît le 8 février 1877 à trois heures du matin au village de la Houcharderie à Pont-Hébert au domicile de ses parents - Pierre Désiré Rabec et Aimée Louise Lebasnier

On confie - comme il est d'usage en pays de Caux - l'organisation de son baptême à ses parrain et marraine : Théophile Le Basnier (le père de sa mère) et Félicité Basnier (la sœur de sa mère). La cérémonie a lieu le jour suivant sa naissance dans l'église Saint-Pierre de Pont-Hébert. Le jour du baptême, son père est marqué absent.

Acte de baptême de Clémence Marie Rabec - Pont-Hébert - 1877

Victor, son premier mari, qui mourut à 23 ans en prison


Le premier mari de Clémence s'appelle Victor Auguste Le Fettey. Et le moins qu'on puisse dire est que ce premier mariage n'eut pas une fin heureuse.

Victor est né à Russy dans le Calvados le 13 mai 1882. En lisant son dossier militaire, on apprend qu'il s'agit d'un jeune homme aux cheveux châtains, qu'il a les yeux bleus, un visage ovale et qu'il mesure 1m65. J'apprendrai plus tard au hasard d'un article qu'il a également "de superbes moustaches". C'est je crois comprendre un séducteur.

En lisant le dossier militaire de Victor, j'apprends également que Victor a fait de la prison à plusieurs reprises. Sa dernière peine date du 1er avril 1903. La cour d'appel de Caen le condamne à cette date à 13 mois de prison pour vol. Il sera vraisemblablement envoyé à la maison centrale de Fontevraud, une ancienne abbaye royale située près de Tours aménagée en prison.

A sa sortie, le 7 mai 1904, il passe devant la commission spéciale de la réforme de Tours qui le réforme pour tuberculose pulmonaire, une maladie qu'il aura vraisemblablement contracté lors de son passage en prison. Cette décision a pour effet de le libérer de ses obligations militaires. 

Dans les semaines qui suivent, Victor s'installe à Etreham, le lieu de résidence de ses parents. Et c'est dans ce village de 220 âmes qu'il fait la connaissance de Clémence qui y réside également - elle y est employée comme domestique. Clémence a 27 ans. Victor en a 22. Ils se marient à Etreham le 2 septembre 1904. Le mariage a lieu en présence des parents des deux époux.

Dans l'année qui suit, le couple ne reste pas à Etreham et part s'installer à Bérigny un village à 5 heures à pied du lieu de résidence des parents de Clémence.

Nous sommes le 7 juin 1905, Victor et Clémence sont mariés depuis 10 mois et je découvre dans cet article du Cherbourg éclair daté du 15 juin 1905 que Victor est condamné à une peine de deux ans de prison.

Cherbourg Eclair - 15 juin 1905
(Le nom de famille de Le Fettey est mal orthographié mais il s'agit bien de lui)

L'article est riche en informations. Je ne sais toutefois pas quel crédit je dois y accorder.

Je lis ainsi que Clémence aurait déjà eu deux enfants mais je n'en trouve aucune trace, ni dans les archives d'Etreham où elle s'est mariée, ni dans celles de la Chapelle en Juger ou de Pont-Hébert où ses parents habitent, ni de Bérigny où elle réside. (EDIT : j'ai depuis trouvé l'un des enfants de Clémence - voir à la fin de cet article)

Je lis également que le "torchon brûle" et que Clémence est battue par son mari. Je ne sais pas non plus dire si ce sont des commérages ou bien la réalité. 

Toujours est-il que Victor sera effectivement envoyé en prison (à nouveau à la maison centrale de Fontevraud). Il y décédera le 16 février 1906 à l'âge de 23 ans.

Clémence est maintenant veuve.

Maison centrale de Fontrevaud

Désiré son second mari qui fut domestique (comme le fut son père)


Acte de mariage de Clémence RABEC et Désiré CATHERINE - 1907

Le 26 août 1907 Clémence Marie RABEC a 30 ans et Désiré Jacques CATHERINE en a 34. Ils contractent tous les deux mariage en la mairie de Bérigny. 

Désiré Jacques CATHERINE est né à Précorbin le 5 mai 1873 dans la Manche. Dans son dossier militaire je lis qu'il a les cheveux châtains, les yeux gris clairs, un menton fuyant, un visage ovale et qu'il mesure 1m62. Il sait lire, écrire et compter et a été à l'école primaire. 

A l'âge de 20 ans, tous les jeunes hommes doivent faire leur service militaire à moins d'en être exempté. Désiré n'en sera pas exempté, mais en 1893 il sera jugé inapte à prendre les armes au motif qu'il a des "varices volumineuses".  Il est ainsi placé dans les services auxiliaires. 

A partir du 1er Novembre 1897 - après trois ans de services militaires -  Désiré passe dans l'armée de réserve : il est toujours mobilisable (en cas de guerre par exemple) mais il peut désormais retourner à la vie civile et exercer un métier.

Désiré devient domestique. C'est le métier qu'il exerçait en 1893 lors de la conscription. C'est également son métier en 1907 lors de son mariage avec Clémence. C'est également le métier de son père - Jacques CATHERINE comme je l'apprendrai en découvrant l' article ci-après.



Toujours dans son dossier militaire, j'apprends qu'il arrive à Bérigny au courant  d'octobre 1905. Il changera souvent de domicile certainement au gré de ses emplois.

Localités habitées par Désiré CATHERINE - Dossier militaire (extraits) - 1893 - Saint-Lô

Même si rien pour l'instant ne me permet de l'affirmer, j'imagine que Clémence a suivi son mari au fil de ses déplacements. D'abord à Saint-Jean des Baisants en août 1908 puis à Placy-Montaigu en septembre 1912 et enfin à nouveau à Saint-Jean des Baisants en août 1914.

La France entre en guerre en août 1914. Désiré est aussitôt mobilisé dans le service auxiliaire (il ne sera jamais envoyé au front). Il surveillera des poudreries puis sera détaché ouvrier agricole pour l'armée. Il est libéré de ses obligations militaires le 1er octobre 1921.

Désiré décédera à Torigni-sur-Vire le 14 novembre 1945 à l'âge de 72 ans. Clémence décédera à son domicile le 21 janvier 1959 à l'âge de 81 ans à Saint-Lô.

Eugène, le fils de Clémence Rabec


Comme je le mentionnais plus haut, je ne réussissais pas à trouver trace des deux enfants qu'aurait eu Clémence comme rapportés dans l'article. Si j'avais été aux Archives Départementales de la Manche la chose aurait été plus simple et j'aurais pu à loisir parcourir les registres papier.

Mais comme je ne n'y suis pas, je suis limité par les registres numérisés disponibles en ligne qui s'arrêtent à l'année 1899.

J'ai alors eu une idée. Si Clémence a eu un ou deux fils, ils ont nécessairement fait l'armée à l'âge de 20 ans donc en 1920 au plus tôt. Les conscrits sont recensés dans leur commune de résidence. A 20 ans, étant encore mineurs (l'âge de la majorité est alors de 21 ans) il y a de grandes chances que le fils de Clémence vive avec elle ou sa famille et donc dans la conscription de Saint-Lô.

J'ai donc été vérifier les registres de recrutement de la conscription de Saint-Lô pour l'année 1920 (qui correspond à la classe d'âgé née en 1900). 

A la lettre R, je découvre plusieurs plusieurs Rabec.

Table des registres matricules de 1920 - Saint-Lô

Je commence par le plus petit numéro de matricule : Rabec Eugène Julien , matricule 45.

Et Bingo ! La fiche matricule me confirme qu'Eugène Julien est le fils de Clémence Rabec.

Registre matricule de Rabec Eugène Julien (1920) - Saint-Lô

En poursuivant ma lecture de son dossier militaire je découvre qu'Eugène est décédé le 26 décembre 1927 (à l'âge de 27 ans).

Après quelques recherches, je retrouve un article sur lui qui m'informe des circonstances de son décès.

Cherbourg Éclair - 31 décembre 1927