Julie Clémence Binay - Mon aïeule condamnée à l'exil perpétuel en Guyane (I)

Capture du documentaire Femme au Bagne
Capture d'écran du documentaire "Femmes au bagne"

Julie Clémence Binay est la tante de ma grand-mère. En 1896, elle est condamnée au bagne et à l'exil perpétuel en Guyane. Voici son histoire.


Je ne savais pas à quoi m'attendre quand j'ai commencé mes recherches généalogiques il y a quelques mois. Mais sans doute pas à être aussi ému et bouleversé que par l'histoire de mon aïeule Julie Binay.

Sa vie tient presque du roman et c'est peut-être l'une des rares de ma famille que j'arriverai à raconter avec autant de précision. La justice adore documenter les tourments qu'elle inflige. Et c'est paradoxalement grâce à cela que je peux aujourd'hui évoquer la mémoire de Julie Binay.

Mais commençons par le commencement. Qui est Julie Binay pour moi ?

Julie Binay est la sœur de mon arrière-grand-père et la tante de ma grand-mère paternelle. Je suis son arrière-petit-neveu. Personne dans la famille n'en avait entendu parlé. Julie Binay n'a jamais eu d'enfants. Le récit de sa vie n'était jamais arrivé jusqu'à nous.

L'enfance de Julie Binay (1864 - 1884)


Julie naît le 20 février 1864 à 5 heures du matin au Hameau de la Maison-Blanche - un regroupement d'une vingtaine de maisons à l'écart de Bolbec à la campagne en Seine-Maritime. A sa naissance, Julie a deux frères, Gustave (9 ans) et Victor (5 ans). Un troisième enfant - Ulysse - naît avant Julie. Il décède en 1861 à l'âge de 10 mois.

Terrassier - Aimé Jules DALOU
(XIXème siècle)
Les parents de Julie sont d'extraction modestes. Il sont originaires de Seine-Maritime et se sont mariés le 23 janvier 1851 à la mairie de Lanquetôt. Sa mère Clémence Adèle est tisserande. Bolbec est alors un lieu florissant de l'industrie du textile. Son père Jean-Baptiste Florentin est ce qu'on appelle un journalier. C'est un ouvrier qui loue sa force de travail à la journée pour des tâches manuelles diverses. Il occupera ainsi les métiers de terrassier et de carriériste (qui travaille à l'extraction des pierres dans une carrière).

Julie a également trois autres frères et sœur qui naîtront après elle : Florentin né en 1865, Georges (mon arrière-grand-père) né en 1870 et Marie-Adèle née en 1872.

Peu d'informations de Julie sont arrivées jusqu'à moi sur sa petite enfance. Habitant à la campagne, je l'imagine habituée aux grands espaces et vivant dans une relative insouciance.

A la fin des années 1860, la famille quitte le hameau de la Maison-Blanche pour se rapprocher de Bolbec et emménage au quartier Frichet. La tranquillité de la campagne laisse la place à l'agitation d'une ville de 10 000 âmes portée par l'activité du textile. Tout le monde ou presque à Bolbec travaille ou a quelqu'un dans sa famille qui travaille dans l'industrie du textile.

En décembre 1870, la France et la Prusse sont en guerre. Bolbec est sous les canonnades de l'artillerie prussienne. La ville sera occupée jusqu'à la fin janvier 1871. Julie a six ans. La quiétude de la campagne est définitivement derrière elle.

Le décès de son père et l'entrée dans l'âge adulte (1884)


En 1884, le 24 juillet, Julie a 20 ans et la famille est frappée par un malheur : le père - Jean-Baptiste Binay - décède.

Sur l'acte de décès, on lit qu'il est décédé à la carrière exploitée par l'administration municipale chemin 73.

Acte de décès - Jean-Baptiste Binay
"décédé en cette ville chemin numéro soixante-treize sur la carrière exploitée par l'administration municipale"








A cette époque, les conditions de travail dans les carrières sont rudes et les accidents sont fréquents. Même si rien ne me permet de l'affirmer, j'ai toutes les raisons de croire que le décès du patriarche de la famille est soudain et lié à son activité professionnelle.

Le décès de son père va marquer un tournant dans la vie de Julie comme je l'apprendrai plus tard. C'est vers cette année que Julie quitte Bolbec pour Paris. Il s'agit sans doute pour elle d'y trouver un emploi.

A Paris, Julie devient lingère et fait la connaissance de Charles Henri Merlin. Charles a 24 ans, il est  chapelier, il habite à Paris 19 rue d'Alsace, à côté de la gare du Nord dans le 10ème arrondissement avec sa mère femme de ménage - son père est décédé. Julie et Charles se marient à Bolbec le 18 février 1888. Les deux frères aînés de Julie, Gustave et Victor, seront ses témoins de mariage.

Julie et Charles emménagent à Paris dans le 18ème arrondissement au 1 rue Belhomme.

Le passé judiciaire de Julie ( 1884- 1893)


Puis un jour, poursuivant mes recherches sur Julie Binay et l'imaginant déjà installée dans sa nouvelle vie parisienne, je lui découvre une toute autre actualité. Nous sommes le 26 décembre 1893, cinq ans après son mariage, et j'apprends que Julie est condamnée à l'exil perpétuel en Guyane.

Le premier document qui me l'apprend ne laisse pas de doute possible. Il s'agit de son relevé individuel de bagne disponible en ligne sur le site Internet des Archives National d'Outre-Mer (ANOM).

Le second document est le documentaire Femmes au bagne réalisé par Hélène Trigueros et diffusé en août 2018 sur France Ô où le destin de Julie Binay est largement raconté.

Comment Julie que j'avais laissée jeune fille mariée à un chapelier à Paris s'est-elle retrouvée à 7200 kilomètres de Paris à l'âge de 29 ans ?

Pour reconstituer cette histoire, je contacte Hélène Triguéros, la réalisatrice du documentaire. Avec beaucoup de gentillesse, elle partage avec moi les documents dont elle dispose et qu'elle a récoltés à l'ANOM.

Le premier document d'importance dont je prends connaissance est le relevé de condamnations de Julie Binay. C'est en quelque sorte son extrait de casier judiciaire. Il date de 1893 et il me révèle le passé judiciaire de Julie.

Je comprends à sa lecture que, sans ressource après la mort de son père, Julie va gagner sa vie en usant de ses charmes. Elle est ainsi arrêtée le 29 août 1884 (un mois après le décès de son père) et condamnée pour la première fois à une peine de prison (8 jours) le 30 août par le tribunal du Havre pour outrage à la pudeur, une façon polie de dire que Julie a été arrêtée pour prostitution.

Dans un autre document (une enquête de police sur Julie Binay datant de 1893) on peut lire :

La fille Binay avant son arrestation se livrait à la prostitution. Les renseignements fournis sur sa moralité sont très défavorables : toute mesure de bienveillance à son égard produiraient un mauvais effet à Bolbec.
Julie se prostituait donc pour gagner sa vie. Il lui arrivait aussi de voler comme ce jour de juin 1886 à Paris où elle fut condamnée à 2 mois de prison pour vol et envoyée à la prison pour femmes de Saint-Lazare pour y exécuter sa peine.

Ce sera la dernière peine de prison de Julie d'ici à son mariage en 1888.

On aurait pu imaginer que le mariage de Julie avec Charles allait la mettre à l'abri d'avoir à voler et se prostituer pour vivre. Ce fut certainement le cas les premières années de son mariage. 

Mais soudainement à partir de 1891, les peines de prison reprennent dans une toute autre intensité que les premières. De 1891 à 1893, Julie est condamnée à quatre reprises par le tribunal de Paris à des peines de prison allant de 4 à 6 mois pour vol, ivresse, outrages et outrages à la pudeur. 

Je me suis interrogé sur les raisons pour lesquelles subitement en 1891 Julie avait du à nouveau user du vol et de la prostitution pour gagner sa vie. Son mari ignorait-il la situation ? Il semblerait que non. Bien au contraire. Dans l'enquête de police faite sur Julie Binay en 1893 on peut lire :
D'après les renseignements fournis par la mère de la fille Binay, ce serait lui (Charles Merlin son époux) qui aurait excité sa femme à se livrer à la prostitution.
Dans cette même enquête, alors qu'il sait son épouse condamnée à l'exil et emprisonnée à la prison centrale de Rennes, on peut lire :
Aujourd'hui il (Charles Merlin l'époux de Julie) veut cesser toute relation avec elle. Le mari a déclaré ne plus vouloir revoir sa femme. 

La condamnation à l'exil (1893-1895)


Le destin judiciaire de Julie bascule le 1er août 1893 :
Le 1er août 1893, à Paris, des gardiens de la paix surprirent la femme Merlin au moment où elle avait des rapports sexuels avec un individu dans la porte cochère d'une maison. En outre, cette femme injuria les agents qui l'avaient mise en état d'arrestation.
Le 1er août 1893, Julie est donc arrêtée pour outrages à la pudeur et outrage à agents. Le 19 août 1893, le tribunal correctionnel de Paris la condamne par son jugement à 6 mois de prison, 16 francs d'amende et à la relégation. 

Avec cette quatrième condamnation de plus de 3 mois, Julie Binay tombe en effet sous la loi instaurant la relégation des récidivistes. 

Cette loi votée en 1885 et voulue par le ministre de l’intérieur Pierre Waldeck-Roussseau donne la possibilité à un juge d'envoyer en exil dans les colonies toute personne qui a été condamnée pour des délits mineurs à quatre peines d'emprisonnement d'au moins trois mois dans une période de 10 années consécutives. 

Julie redoute fort cette relégation. Depuis la cellule de sa prison à Paris, elle résistera et se démènera pour y échapper et usera de tous les moyens légaux à sa disposition. Elle fait d'abord appel de cette décision. L'appel est rejeté et le jugement en première instance est confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris le 22 septembre 1893. 

Dans un ultime espoir, Julie se pourvoie en cassation. Le pourvoi en cassation lui permet d'attaquer l'arrêt non pas sur le fond du dossier (déjà arbitré lors de son appel) mais de s'assurer que le droit a été bien respecté dans ses textes. Le 10 novembre 1893, la cour de cassation donne raison à Julie Binay et casse l'arrêt du 22 septembre 1893. Elle renvoie Julie devant la cour d'appel d'Orléans. Toutes les raisons d'espérer une libération lui sont encore permises.

J'imagine aisément l'espoir qui a pu être le sien et l'attente qui a du être la sienne depuis sa cellule de prison pendant quarante-cinq jours jusqu'à son nouveau procès. 

Malheureusement, au lendemain de la journée de Noël, le 26 décembre 1893, la cour d'appel d'Orléans amenée à juger à nouveau la demande d'appel confirmera définitivement le jugement initial et la peine à la relégation.

Julie Binay est transférée le 25 janvier 1894 à la prison centrale de Rennes pour y finir sa peine et y restera jusqu'au 2 février 1894. Alors que sa conduite avait été jugée bonne lors de ses précédents séjour en prison au Havre, à Nanterre et à Paris, son attitude est toute autre à Rennes alors qu'elle se sait condamnée à l'exil perpétuel :

A Rennes très mauvaise conduite (...) des désordres dans l'atelier. Injurie ses compagnes. Voie de fait sur l'une d'elle. 
A ce stade, le seul aménagement possible pour Julie serait qu'on sursoit à l'exécution de sa peine (autrement dit qu'on la retarde). Ou bien qu'on l’aménage en une relégation individuelle (plutôt que collective). Dans le cas d'une relégation individuelle, elle vivrait exilée dans une colonie mais en état de liberté. Ce mode de relégation est octroyé aux femmes qui disposent des moyens pour subvenir à leurs besoins et qui font preuve de bonne conduite. Dans le cas d'une relégation collective, Julie vivrait internée et astreinte à des travaux.

Le 12 mars 1894, le procureur général près la cour d'appel d'Orléans écrit :

Il  y a lieu d'appliquer la relégation collective à la dite Julie Clémence Binay.

Consulté pour avis, le directeur de la maison centrale de Rennes où Julie était incarcérée écrit le 2 mai 1894 :
La fille Binay est indigne de toute indulgence, elle doit être reléguée collectivement et rien ne s'oppose à son départ pour les colonies
Le préfet d’île et Vilaine (représentant de l'état) écrit de même le 7 mai 1894 :
J'estime que la née Binay Julie Clémence doit être soumise au régime de la relégation collective et qu'il n'y a pas lieu de lui accorder sursis au départ. 
Le 9 Juin 1894, la commission de classement rend son avis et sa décision :
"Considérant (...) Qu'elle (Julie Binay) ne justifie ni de ressources ni de moyens suffisants d'existence. Qu'elle se livrait à la prostitution, que sa conduite en prison est très mauvaise et qu'elle s'y montre agent de désordre ; que sa santé est bonne ; est d'avis : 1 - qu'il n'y a pas lieu d'admettre Binay au bénéfice de la relégation individuelle ni de lui accorder de dispense de départ ; 2 - qu'il y a lieu de la diriger vers la Guyane."
La France ne veut plus d'elle.

Le 26 juillet 1895, Julie Binay embarque sur le bateau "Ville de Saint-Nazaire" à destination de la Guyane française pour y être exilée. 

Quelques mois plus tôt, c'est sur ce même navire qu'un autre illustre bagnard embarquait vers la guyane, le capitaine Dreyfus.

Le paquebot Ville de Saint-Nazaire
Le paquebot Ville de Saint-Nazaire


Julie Binay - matricule 247


Le "Ville Saint-Nazaire" n'est pas un bateau construit pour le transport des relégués. Il a toutefois été aménagé pour la circonstance. Les hommes et les femmes y voyagent séparément. Quelques sœurs de la Congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny accompagnent pendant la traversée une quarantaine de femmes reléguées.

La traversée dure deux semaines et est rude et éprouvante. La sœur Saint Benoît Joseph, chargée d'accompagner vingt-neuf reléguées en Guyane en 1897, retranscrit avec émotion l'impression que lui ont laissée le transport des reléguées : 
Nos femmes n'étaient pas mieux partagées, elles ont été de même entassées dans un espace si restreint qu'elles ne pouvaient se tenir couchées et l'abord de leur cachot était si difficile qu'il nous fut expressément défendu d'y aller. Du reste, nous ne le pouvions pas car elles étaient fermées à double cadenas. Nous ne pouvions les voir que deux fois par jour, une heure le matin et une heure le soir alors nous les faisions monter sur le pont. Pendant ce temps, nous les faisions travailler, prier et chanter
A son arrivée à Saint-Laurent-du-Maroni le 11 août 1895, Julie a du voir cette foule qui se presse comme à chaque fois. L'arrivée d'un convoi de relégués est un événement
Le warf branlant grouillait de monde. Des dames européennes en toilette claire, des enfants, des surveillants vêtus de blanc le revolver en bandoulière coiffés du képi bleu horizon ou bien du casque, des gendarmes, des agents de la police indigène vêtus de leur insipide uniforme en bleu de chauffe et aussi, tout un autre monde composé de négresses au teint olivâtre, brun et café au lait, maniérées et vêtues de toilettes aux couleurs chatoyantes, des nègres espèces de dandy, moulés dans des vêtements trop étroits.
Arrivée en Guyane, Julie rejoint le couvent de Saint-Laurent-du-Maroni. Car la particularité des reléguées est que leur surveillance a été confiée à des sœurs et non pas à des militaires comme c'est le cas pour les hommes. 

Qu'on ne s'y méprenne pas toutefois, le couvent n'a de couvent que le fait d'être administré par des sœurs. Il n'en reste pas moins que les reléguées y vivront dans un régime monacal bien plus draconien que celui homologues relégués. Les journées y sont particulièrement monotones et strictes :
La journée quotidienne de travail des reléguées est fixée à huit heures (de 7 heures à 11 heures et de 13 heures à 17 heures) (...). Le réveil a lieu à 5 heures 45 au dépôt. A leur levé, les femmes effectuent leur prière en commun puis nettoient leurs dortoirs ainsi que leurs ateliers. Après avoir terminé le ménage, elles peuvent se promener dans la cour du dépôt en attendant l'heure du déjeuner. Celles qui peuvent s'acquitter de dix centimes reçoivent un café et les autres doivent se contenter « d'une maigre soupe ». A 7 heures, la cloche sonne et annonce le travail. (...) Là, chacune vient chercher sa tâche de travail et, installées sur de simples caisses, elles passent la journée à s'y activer. Le silence le plus rigoureux est exigé. Seuls les chants et les prières accompagnent leur travail. A 9 heures du matin, une sœur bénit l'heure puis entame un chapelet continué par les femmes qui, une dizaine chacune à tour de rôle, le reprennent en cœur et achèvent par des litanies et un Souvenez-vous à la très sainte Vierge. (...) Le silence n'est rompu qu'à 11 heures, au moment de la distribution du premier repas. A 16 heures 30, le travail cesse et à 17 heures, les reléguées soupent puis se voient accorder un moment de récréation. A 18 heures 30, les sœurs leur donnent l'ordre de regagner leur dortoir où elles récitent une dernière prière en commun puis se couchent. Le silence est alors à nouveau exigé.
Quelles peuvent être les pensées de Julie dans ces premières années ? 

Julie est certainement déçue du sort qui lui est réservé car l'on avait promis à ces femmes une certaine liberté sous couvert d'exil :
Puis elles [les reléguées] attendaient une liberté relative qui ne leur est pas accordée de sorte que ces pauvres créatures souffrent et font souffrir les sœurs qui sont obligées de rester avec elles et de supporter leurs saillies de caractère qui sont loin d'être agréables.
Tout le temps de sa captivité, Julie ne cessera de se rebeller.

Elle s'évadera à plusieurs reprises. Le dépôt des reléguées est entourée d'une barrière en bois facile à franchir. Ses évasions s'apparenteront plus à des escapades qu'à des évasions : la police du Maroni la récupérera à chaque fois pour la ramener au couvent quelques jours au plus après son évasion.

Julie piquera également de folles colères comme cette journée du 2 janvier 1914 où elle est mise en cellule. Loin de la calmer, cette décision lui fait décupler sa rage. Elle menace de casser les planches de sa cellule. La sœur supérieure commande à deux de ses co-détenues de lui bander les mains ce qui fut fait.

Elle insultera copieusement les sœurs et procédera à des tapages scandaleux ce qui lui vaudra plusieurs dizaines de jours de cachot. L'annonce d'une peine de cachots vaudra d'ailleurs aux sœurs une nouvelle volée d'insultes :

Julie Clémence Binay
La reléguée collective Julie Binay numéro matricule 247 punie de cachot pour avoir traité les sœurs de  "Mauvais monde" | En haut à droite, l'inscription 8 jours de cachot | Le 16 janvier 1904

Julie Clémence Binay
La reléguée collective Binay numéro matricule 247 punie de cachot à l'annonce d'une deuxième punition de 8 jours de cachot infligée par la commission disciplinaire du 17 janvier pour avoir traité les sœurs de vaches, canailles, crapules et tantes ; et le surveillant de méchant, mauvais, canaille et vieux bandit | Le 18 janvier 1904.


Le retour de Julie en France


En métropole, à partir de 1903 on commencera à s'émouvoir du sort de ces femmes exilées. Il faudra attendre la loi du 19 juillet 1907 pour abolir la relégation pour les femmes. Cette loi les autorise au retour en métropole (à leurs frais) et le garde des sceaux ordonne la libération immédiate des femmes emprisonnées au dépôt de Saint-Laurent- du-Maroni.

Mais la Direction pénitentiaire craignant pour la sécurité de la colonie de la libération soudaine de toutes les prisonnières obtient la suspension du décret d'application. Seules les femmes pouvant subvenir aux frais liés à leur retour seront libérées.

Ce n'est qu'en février 1914 que seront véritablement libérées toutes les femmes du dépôt de Saint-Laurent. Toutes peuvent revenir en métropole mais toujours à leurs frais. A ce moment, il reste 73 femmes reléguées au dépôt de Saint-Laurent et une vingtaine souhaite rentrer en métropole. Onze femmes auront les fonds suffisants pour subvenir aux frais de leur retour - dont Julie. 

Julie quitte la Guyane le 10 avril 1914 sur le bateau "La Loire". Elle débarque à Saint-Nazaire le 28 avril 1914.

Lorsqu'elle revient en France, Julie a 50 ans. Sa mère est décédée depuis 13 ans. Son ancien mari s'est déjà remarié deux fois. Son frère Victor et sa sœur Marie-Adèle sont décédés. Gustave vit au Havre avec ses deux fils, Florentin vit à Bolbec et Georges est certainement à Bolbec lui aussi. 

Nous sommes en avril 1914. La France s'apprête à entrer en guerre.  C'est à partir de là que je perds la trace de Julie Binay.

Post-Scriptum


Lorsque j'ai contacté Hélène Trigueros qui a réalisé le documentaire Femmes au bagne, je lui ai demandé pourquoi elle avait choisi spécifiquement Julie pour incarner toutes ces femmes qui furent exilées. Sa réponse fut la suivante :

Pourquoi Julie Binay ? Mon assistante et moi avons été bouleversées par la force, l’insoumission de cette femme face à un destin qu’elle n’accepte pas. A chaque pièce du dossier, nous restons un peu plus étonnées, ébranlées de sa persévérance à ne pas se soumettre, à rechercher sa liberté que son époque lui refuse.Ses écrits nous ont beaucoup fait sourire et on s'est mis à se l'imaginer (...). Elle est devenue mon héroïne.
Depuis deux mois que je fouille son passé, j'ai l'impression d'être entré dans la vie de Julie qui est également devenue mon héroïne. 

Cet article est un hommage ému à elle et à ses coreligionnaires.